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Protection bois ancien, quelle solution ?

Protéger le bois ancien sans filmogène : retour d’expérience approfondi

Après des années à restaurer du mobilier ancien et des structures extérieures, j’ai développé une vraie défiance envers les finitions filmogènes (certaines lasures et vernis). Non pas qu’elles soient intrinsèquement mauvaises, mais leur comportement sur bois ancien pose des problèmes structurels qu’on ne peut ignorer.

Pourquoi j’ai basculé vers les saturateurs : la question de l’équilibre hydrique

Le bois ancien a un historique hygroscopique complexe. Il a connu des cycles d’absorption/désorption pendant des décennies, créant un réseau de micro-fissures et une structure cellulaire partiellement dégradée. Appliquer un film imperméable en surface, c’est créer une barrière unidirectionnelle : l’humidité résiduelle ne peut plus s’évacuer correctement.

Les saturateurs fonctionnent sur un principe radicalement différent : l’imprégnation par capillarité. Ils migrent dans les vaisseaux du bois (notamment les rayons ligneux) et modifient la tension superficielle des parois cellulaires. Résultat : l’eau liquide ne peut plus pénétrer (angle de contact supérieur à 90°), mais la vapeur d’eau continue de circuler. Cette perméabilité à la vapeur (paramètre μ faible) est fondamentale pour maintenir l’équilibre hygroscopique du bois.

La dégradation photochimique : comprendre l’action des UV

Les UV-B et UV-A ne se contentent pas de « griser » le bois. Ils déclenchent une photolyse de la lignine, ce polymère phénolique qui assure la rigidité des parois cellulaires. La dégradation suit un schéma précis :

  • Les chromophores de la lignine absorbent les UV
  • Formation de radicaux libres
  • Rupture des liaisons éther et scission des chaînes
  • Lixiviation progressive des fragments solubles

Les celluloses et hémicelluloses, moins sensibles aux UV, restent en surface : c’est cette couche cellulosique blanchâtre qu’on appelle le « grisaillement ».

Pourquoi les pigments sont indispensables

J’ai fait des tests comparatifs en exposant des échantillons traités pendant 18 mois. Le constat est sans appel : un saturateur incolore, même riche en huiles, ne ralentit la photodégradation que de 20 à 30%.

Les pigments (oxydes de fer, ocres naturels) fonctionnent comme des filtres UV passifs. Ils absorbent les longueurs d’onde critiques (290-400 nm) avant qu’elles n’atteignent la lignine. La granulométrie compte énormément : des pigments entre 0,2 et 0,5 microns offrent le meilleur compromis entre efficacité anti-UV et pénétration dans le bois.

Attention cependant : un saturateur trop chargé en pigments (>5% en masse) perd en capacité de pénétration. Il forme alors une semi-couche en surface, ce qui n’est plus vraiment l’esprit d’un non-filmogène. Je vise personnellement 2 à 3% de pigmentation.

Composition et pénétrométrie : ce que j’ai appris

Tous les saturateurs ne se valent pas. Leur efficacité dépend de plusieurs paramètres physico-chimiques :

Viscosité dynamique : Entre 20 et 50 mPa·s à 20°C pour une pénétration optimale. Au-delà, le produit reste trop en surface. En dessous, il traverse trop vite sans saturer correctement les couches superficielles.

Nature des huiles :

  • Huile de lin : excellent pouvoir siccatif (polymérisation oxydative), mais jaunissement possible
  • Huile de bois de Chine (tung oil) : meilleure résistance à l’eau, durcit davantage
  • Huiles modifiées alkyde : compromis entre pénétration et durabilité

Extrait sec : Idéalement entre 35 et 50%. C’est la matière qui reste après évaporation des solvants. Un extrait sec trop faible = protection éphémère. Trop élevé = mauvaise imprégnation.

Les solvants : un mal nécessaire sur bois dense

Sur du chêne ancien ou des bois exotiques vieillis, la densité et la fermeture des pores posent problème. J’utilise parfois des saturateurs avec 15-20% de solvants aliphatiques (white spirit désaromatisé) pour améliorer la pénétration en première couche. La viscosité chute, le produit migre plus profondément.

Deuxième couche : je passe sur un saturateur plus concentré, presque pur. Cette technique en deux phases maximise la protection en profondeur tout en construisant une saturation progressive.

Protocole d’application que j’ai optimisé

  1. Diagnostic du bois : Je mesure l’humidité avec un humidimètre à pointes (jamais au-dessus de 18%, idéalement 12-15%). Un bois trop sec (< 8%) absorbe trop brutalement et peut créer des auréoles.
  2. Préparation de surface : Brossage doux (brosse laiton ou nylon) pour ouvrir légèrement les pores sans agresser les fibres. Sur bois très encrassé, un léger ponçage au grain 120-150, toujours dans le sens du fil.
  3. Application : Pinceau pouce de soie naturelle ou spalter. J’applique généreusement, je laisse pénétrer 15-20 minutes, puis j’essuie l’excédent au chiffon non pelucheux. L’erreur classique : laisser sécher le surplus en surface. Ça crée une couche poisseuse qui attrape la poussière.
  4. Couches successives : J’attends 24h minimum entre les couches (48h si température < 15°C). Le bois ancien absorbe souvent 2 à 3 couches avant saturation complète. Le test : quand le bois ne « boit » plus, on arrête.

Entretien et renouvellement : approche rationnelle

Le test de la goutte d’eau est simple mais efficace : si l’eau perle encore après 5 minutes, la protection tient. Si elle commence à être absorbée, il est temps de renouveler.

Sur mes propres pièces extérieures ou sur une terrasse bois, je constate qu’un saturateur de qualité tient 18 à 30 mois selon l’exposition. Face sud ensoleillée : plutôt 18 mois. Face nord ou bois abrité : jusqu’à 3 ans.

L’avantage technique majeur : le renouvellement se fait par simple surcharge. Pas de décapage, pas de ponçage. On nettoie (brosse + eau, séchage complet), et on recharge directement. La nouvelle huile fusionne avec l’ancienne par affinité moléculaire.

Huile de lin : utilisation brute et modification par siccatif

Vous êtes nombreux à travailler avec l’huile de lin brute. c’est économique, c’est un produit naturel, mais on rencontre deux défis majeurs :

  1. séchage lent : l’huile de lin est une huile siccative, mais le processus d’oxydation est lent. dans un endroit frais ou humide, la surface peut rester collante pendant plusieurs jours, attirant les poussières.
  2. pénétration limitée : les molécules étant relativement grosses, la pénétration est difficile sur un bois dense ou déjà ancien.

pour optimiser votre huile de lin, la transformer en huile modifiée performante, on utilise deux méthodes éprouvées :

  • la dilution pour la pénétration : pour la première couche (couche d’accroche), il est recommandé de couper votre huile de lin à environ 50% avec de l’essence de térébenthine pure gemme. le diluant transporte l’huile en profondeur dans les fibres du bois. il s’évapore ensuite entièrement.
  • l’ajout du siccatif : c’est le catalyseur chimique. le siccatif de zélande (ou tout autre siccatif moderne, souvent à base de cobalt ou de zirconium) accélère l’oxydation. cela permet de durcir l’huile beaucoup plus rapidement. attention : c’est le dosage qui est crucial. un dosage excessif risque de provoquer un durcissement trop rapide en surface, créant un film cassant et inesthétique. lisez scrupuleusement les instructions du fabricant de siccatif, car le surdosage est rédhibitoire.

Règle d’or de l’application : que vous utilisiez de l’huile pure dopée ou un saturateur du commerce, l’étape la plus importante est d’essuyer l’excédent après quinze à vingt minutes de pose. toute huile qui n’a pas pénétré doit être retirée. si elle sèche en surface, elle formera un film qui finira par craqueler.

Mes produits de référence après tests comparatifs

J’ai monté un protocole de vieillissement accéléré (exposition UV contrôlée + cycles hygrométriques) pour comparer différentes références :

Blanchon Huile Environnement : Extrait sec 42%, viscosité 35 mPa·s. Excellente pénétration, légère odeur. Rendu mat naturel. Efficacité UV correcte avec la version teintée « chêne doré ». Prix : 35-40€/L.

Owatrol Textrol : Plus fluide (25 mPa·s), pénètre très bien même sur bois dense. Contient des résines alkydes qui renforcent la durabilité. Attention à bien essuyer l’excédent. 30-35€/L.

Anova Bois N°1 : Ma référence pour le bois ancien très dégradé. Composition à base d’huile de lin et résines naturelles. Viscosité basse en première application, reconstruit bien la structure. 45€/L mais rendement excellent (10-12 m²/L en deux couches).

Syntilor Xylodhone : Bon compromis qualité/prix pour grandes surfaces. Tient bien en extérieur, pigmentation homogène. 25€/L en conditionnement 5L.

Cas particulier : bois grisé à récupérer

Sur du bois ancien fortement grisé, j’applique d’abord un dégriseur (acide oxalique 5-8% en solution aqueuse). Il élimine la couche cellulosique dégradée et restaure la couleur d’origine. Rinçage abondant, séchage 48h minimum, puis saturation. Le résultat est spectaculaire, surtout sur chêne et châtaignier.

Limites techniques à connaître

Les saturateurs ne sont pas miraculeux. Sur bois fortement exposé aux intempéries (bardage face aux vents dominants, terrasse très piétinée), leur durabilité reste limitée. On parle d’entretien bisannuel, ce qui peut être contraignant.

Ils n’apportent aucune résistance mécanique. Sur des zones de friction intense, un filmogène reste parfois nécessaire, même si je le déplore.

Enfin, la montée en couleur est subtile. Si vous cherchez un effet coloré marqué, il faudra multiplier les couches ou accepter qu’un saturateur n’est peut-être pas la bonne solution.